Tu dérailles ou quoi ?

MERCREDI 21 MAI- GARE DE CHAMBERNAC-LE-MUIRE

Tirés du lit à l’aube, convoqués en urgence, nous arrivons dans l’obscure bourgade pile poil à l’heure de l’apéro, en espérant légitimement nous en jeter un derrière la cravate. Hélas l’ambiance, nous le comprenons vite, n’est pas aux libations… Ségolène Royal, la terrible ministre de l’Ecologie, nous attend de pied ferme sur le quai de la gare, flanquée du ministre des Transports, l’adipeux Frédéric Cuvillier.

— Messieurs, expliquez-vous ! nous apostrophe-t-elle avec des éclairs dans les yeux.

— Quoi ? Hein ? Comment ? répondons-nous sans rien perdre de notre flegme.

— Ces nouveaux trains trop larges pour entrer dans les gares… On va devoir raboter les quais ! 50 millions de travaux !

— C’est pas de notre faute ! glapit Antilogus avec dignité.

— Laissez-nous tranquilles, on n’a rien fait ! trépigne Festjens, parfaitement maître de lui.

— Au contraire, insiste l’effroyable femme, c’est vous qui avez fourni les chiffres bidons… On nous l’a dit !

— Oui, on nous l’a dit ! renchérit l’infect Cuvillier. 

Nous protestons, tels des sangliers cernés par la meute, mais il nous semble nous souvenir, en effet, que peut-être, en tant qu’experts-géomètres en ingénierie des chemins de fer (certificat AFR - Antilogus-Festjens Railways), nous avons pu naguère avancer quelque chiffres… Remarquablement organisé comme de coutume, Festjens tire un vieux carnet froissé de sa poche et y jette un coup d’oeil.

— Voyons, voyons… Ah, j’y suis ! 2000 wagons de TER. Bon, grosso merdo, ça nous donne du 280 sur 160…

Aussitôt un sbire bondit sur les rails, relève quelques mesures et rend son verdict :

— Il manque dix centimètres de chaque côté !

— Oublie les centimètres, mon pote, ricanons-nous. On donne toujours nos chiffres en inches ! 

— C’est consternant ! lâche le dragon femelle. Je n’ai jamais rien entendu d’aussi stupide… 

Cette fois, tout en restant des gentlemen, nous décidons de ne pas nous laisser faire.

— Ferme-la, foldingue ! lance Antilogus.

— Et toi, le gros lard, prends ça dans ta poire ! ajoute Festjens en souffletant l’ignoble Cuvellier.

Il n’en faut pas plus pour provoquer une bousculade peu protocolaire sur le quai… Dans la mêlée, voilà que le ministre des Transports, ce lourdaud, bascule sur les voies ! Et à nouveau, ironie d’un sort cruel, la largeur est insuffisante ! L’infâme joufflu reste coincé entre les rails tandis qu’un hululement lugubre retentit au loin… Bon Dieu, le rapide Dieppe-Montbéliard de 13h58 ! Nous partons sans attendre la fin de ce pénible épisode. Nous en référerons en haut-lieu. Ça ne se passera pas comme ça. Nous sommes très déçus.